Parution originale en 1997 dans le plan K n°7
Chapitre 1
Tout le monde vante le charme de Venise au printemps, mais pour moi qui suis un M.E.C la belle saison pour visiter Venise, c’est la fin de l’automne, la saison des pluies. Un crachin breton noie la lagune, et les canaux débordent, inondant les ruelles et les rez-de-chaussée des maisons. C’est l’aqua alta. Toute la ville alors sort en cirés et bottes de caoutchouc. Les employés du servizio delle acque portent des cuissardes noires ou des waders, les marinaii qui manoeuvrent les cordages des motoscafi, des uniformes caoutchoutés bleu sombre ou gris fer, un suroît de pêcheur, de gros gants de latex à picots… Moi, en bottes de caoutchouc et ciré, je me promène toute la journée, bandant comme un fou, les yeux exorbités, plus ému que devant les chefs-d’oeuvre du musée de l’Accademia ! Et lorsque au détour d’une ruelle je tombe sur des plongeurs du service de la voirie en combinaisons intégrales étanches oranges et noir Aquatica…
Chapitre 2
Du petit pont qui enjambe le canal, je les regarde enfiler les cagoules, les masques et les gants de caoutchouc noir avant de s’immerger dans les eaux noires grasses, luisantes d’huiles minérales… Quand je m’aperçois qu’un badaud s’est accoudé auprès de moi, captivé comme je le suis par ce spectacle, et ne se souciant apparemment pas plus que moi de la pluie battante. Il est vrai qu’il est encore mieux équipé que moi : cuissardes de caoutchouc noir et ample combinaison deux pièces NBC de lourde toile caoutchouté double face vedâtre marquée E.I Esploratori Anfibi Lagunari Venezia, et qui porte encore sur une manche, à hauteur du biceps, la trace des galons – indiquant un grade militaire élevé. Des gros gants de caoutchouc noir… Sous la capuche froncée, un bon visage viril… La quarantaine… Belle denture, yeux très noirs, barbe de trois jours… Je n’en crois pas mes yeux. Un fantasme incarné ! Et caoutchouté ! J’en englue le jock-strap de latex noir que je porte sous mon jean. Moi qui ai toujours fantasmé sur les Lagunari, ce corps de nageurs de combat d’élite ! Que ce mec en soit un vrai, ou qu’il ait trouvé dans un surplus cet équipement, je dois tenter ma chance, me dis-je. Je redoute toujours un peu le machisme latin, qui fait que les homosexuels ont ici plus de réticence à s’avouer tels, mais j’ai l’avantage de bien parler l’italien, et je me dis que nous sommes en plein jour, dans une ruelle très passante, et Venise n’est pas la Sicile: je ne prends pas trop de risques… Je m’enhardis donc à l’interpeller :
« Avec ça, vous ne craignez rien, dis-je
– N’est-ce pas ? » me répond-il avec un beau sourire, à la fois assez engageant et un peu ironique. Comme si, fétichiste, il avait deviné en moi un autre fétichiste… Je poursuis :
« Si je ne suis pas indiscret, où avez-vous trouvé cette tenue NBC ?
– Mais ! Je ne l’ai pas acheté : j’étais Lagunaro. Nous prenons notre retraite à trente-huit ans, mais pendant douze ans encore, nous pouvons être mobilisés en cas de conflit grave. Et pour cela, nous devons garder tout notre équipement à la maison. Quand il pleut si fort, quoi de mieux ? »
Il esquisse un sourire ambigu. J’esquisse un sourire non moins ambigu, en disant :
« Tout à fait d’accord. Rien de mieux que le caoutchouc ! »
Nouvel échange de regards lourds de sous-entendus : je suis bien certain maintenant que ce beau Lagunaro est aussi fétichiste que moi. Et qu’il a compris où je voulais en venir. Mais est-il pédé, aussi ? Certes, j’ai entendu dire qu’il y avait une tradition d’homosexualité dans ce corps de surhommes, mais n’est-ce pas une légende ? Venise a toujours attiré les gays, et les paradent que donnent les Lagunari, lors des grandes fêtes vénitiennes, en particulier la fête du Rédempteur, les font rêver : tous ces magnifiques nageurs aux corps de statues antiques moulés dans des combinaisons de néoprène noir… Ou, en intégrales caoutchoutés vert militaire, ranges aux pieds, figés dans un impeccable garde-à-vous sous un soleil de plomb… Ils sont bien aussi sexy que les horse-guards…
Combien de gays ont pris alors leurs désirs pour des réalités ?
Ce Lagunaro que j’ai devant moi, et qui m’excite tant, se présente : « Enzo » Et me tutoie ! Et m’invite, oui, à monter chez lui ! « J’habite à deux pas d’ici. Tu veux voir mon équipement ?
Et comment !
Chapitre 3
Tout s’est passé si vite, si facilement, que je n’y crois pas encore vraiment quand il me fait entrer chez lui : une petite maison crépie de rose, dont le rez-de-chausséé, non meublé comme c’est presque toujours le cas à Venise, et pour cause, est inondé sous vingt bon centimètres d’eau sale. Cela sent un peu l’égout, mais l’odeur n’est pas pour me déplaire. A des patères, pendent toutes sortes de cirés, bottes, cuissardes, waders, et, sur un cintre, une combinaison de plongée intégréale de Lagunaro… Enzo enlève le haut de sa combinaison NBC dégoulinante de pluie : quel chose ! Je découvre qu’en-dessous, son torse puissant de nageur est moulé dans le caoutchouc noir ! Il porte en guise de chandail le haut de ces magnifiques combinaisons « muta di gomma » Pirelli, dont étaient équipés autrefois les Lagunari, et autre Subacquei de la marine italienne. C’est une sorte de pull à col roulé fabriqué en pur caoutchouc, de l’épaisseur et de la douceur du caoutchouc à chambres à air… Mon émoi n’a pas échappé à Enzo, qui me cite en riant aux éclats : « Rien de mieux que le caoutchouc ! ». Il n’enlève pas ses cuissardes pour grimper l’escalier : « Aucune importance, dit-til, tu peux monter au premier en bottes : il y a du carrelage par terre… »
Chapitre 4
Je n’ai plus aucun doute sur sa passion fétichiste en pénétrant dans l’appartement proprement dit : la porte de sa chambre est grande ouvert, je vois que son lit est recouvert d’une bâche caoutchoutée vert militaire et que les rayonnages de sa penderie, aux portes également grandes ouvertes, croulent sous les amas de combinaisons en caoutchouc, bottes en caoutchouc, gants en caoutchouc, masques à gaz ou de plongée… Sur les murs, des photos sous-verre rappellent son passé de Lagunaro, et combien il est fier d’avoir fait parti du bataillon amphibie Sile, qui est le bataillon d’élite au sein de ce corps d’élite. Photos de groupe ou portraits de camarades posant dans leurs diverss tenues de nageurs de combat ou d’incursori en milieu aquatique : celui-ci, engoncé dans la pesante combinaison sèche de toile caoutchoutée, gants de latex noir et cagoule néoprène attenants ; celui-là, qui progresse au milieu des roseaux, mitraillette au poing, en pontonnière de gros caoutchouc vert lagume passée sur un treillis caoutchouté étanche à collet et manchettes de latex noir ; cet autre, qui plonge dans un trou creusé dans la glace, équipé d’une intégrale en caoutchouc noir Viking ; cet autre encore, parachutiste largué en pleine mer, moulé dans une combinaison deux pièces de néoprène… Mais me fascinent plus encore d’anciens clichés où l’on peut voir les Lagunari dans leurs tenues d’autrefois, mes préférées : la muta étanche, de souple caoutchouc noir non doublé, en particulier celle à cagoule, botillons et gants intégrés. Il y a aussi ces fabuleux polmoni : des « poumons » de caoutchouc, en effet, des sacs respiratoires en circuit fermé (ne produisant pas de bulles : les plongeurs ne devaient pas se faire repérer) qui se portaient comme un gilet et insufflaient l’air dans un masque-cagoule enveloppant toute la tête. En muta integrale avec polmoni, le Lagunao était intégralement caoutchouté. Enzo, voyant que je m’attarde devant cette photo, me dit « C’est aussi ma combinaison préférée. Hélas le modèle était déjà abandonné quand je me suis engagé : trop dangereux et inconfortable. Mais nous avions un instructeur particulièrement sadique qui nous faisait faire toute notre gymnastique, les pompes, les abdos, les agrées, la corde, la course à pieds dans une muta de ce type. J’ai dû suer des milliers de litres là-dessous », ajoute-t-il en m’en tendant une. Je ne peux pas cache que je bande à en faire crever le latex de mon jock-strap. Je palpe le caoutchouc, je le hume, je m’en grise…. « Tu veux la passer ? Me demande Enzo. Déshabille-toi ! » Je défaille de bonheur mais je suis embarassé : j’aimerais ôter aussi mon jock-strap, mais il va s’apercevoir alors que j’ai déjà juté, et il ne va peut-être pas apprécier que… Comme s’il lisait dans mes pensées, il me dit « Détends-toi ! Tu veux savoir pourquoi je suis devenu Lagunaro ? Mon père était un amiral, et un fasciste resté fascite après la guerre, un vrai tyran : un jour, en 1968 – j’avais 16 ans – il m’a surpris au fond du parc de notre villa sur la Brenta, en train de baiser avec le gars qui curait les canaux ; j’aimais déjà les hommes et les cuissardes de caoutchouc ! Il m’a mis le marché en main : soit j’entrais dans une sévère maison de correction pour y finir mes études, soit j’abandonnais mes études et il me faisait engager par dérogation dans la Lagunari… qui feraient de moi un homme ! Un vrai ! J’ai choisi les Lagunari, bien entendu. Mon père ne savait pas qu’en me punissant, il allait faire mon bonheur ! Vivre dans la compagnie exclusive d’hommes virils, et porter presque exclusivement du caoutchouc… Bien entendu on en chie : pour endurer la discipline et le drill commando des nageurs de combat, il faut une bonne dose de masochisme . Mais de ce côté là, je ne crains personne non plus !
– mais, dis-je, l’homosexualité des Lagunari est une légende non ?
– disons que la plupart restent célibataires » me répond-il malicieusement. En même temps, il passe ses mains sous la ceinture de mon jock-strap et le fait glisser ainsi jusqu’à mes pieds. J’enfile le bas de la combinaison, qui couvre depuis les pieds jusqu’à la poitrine. Le caoutchouc froid et copieusement talcé me fait voluptueusement frissoner ; j’ai la chair de poule et cependant, je bande plus dur. Puis je passe le haut : sur ce modèle-ci, les gants et une cagoule ouverte sont attenants. Le haut du bas et le bas du haut sont ensuite roulés l’un dans l’autre – Enzo me montre comment – ce qui scelle hermétiquement la combinaison. Au-dessus, on passe une large ceinture qui assure une étanchéité parfaite. Enfin, la cagoule intégrale du respirateur, qui est munie de deux hublots pour la vue… Enzo a placé une catouche dans le sac des polmoni : le gaz carbonique rejeté est dissous, ce qui permet de respirer le même air recyclé avec une autonomie de trois à quatre heures. Me voici totalement engloutis dans le caoutchouc, respirant du caoutchouc à travers un tuyau de caoutchouc, touchant du caoutchouc avec des gants caoutchouc… Je jouis comme je n’ai jamais joui. Enzo me fait, en outre, chausser une paire de cuissardes en caoutchouc noir. Lui a remis ses gants et enfilé une cagoule latex. Il me branle vigoureusement, il me masse les fesses, il me serre dans ses bras musculeux, sur sa poitrine moulée dans le caoutchouc, il me renverse sur le lit tendu de toile caoutchoutée. Le bruit du caoutchouc, l’odeur du caoutchouc m’enivrent.
Je suffoque dans ma cagoule, ce qui augmente encore ma jouissance. Le caoutchouc de ma muta s’est vite réchauffé au contact de ma peau, je ruisselle de sueur. Enzo met maintenant un masque à gaz et roule, enlacé à moi, d’un bout à l’autre du grand lit. Je ne vois plus que ses beaux yeux, si noirs, qui scrutent les miens à travers les hublots embués « Oui ? Fait-il. Oui ? » Je devine ce qu’il attend de moi. « Oui » dis-je. Et je me couche sur le ventre, et je l’aide à rouler la ceinture pour dégager le bas de la combinaison et dénuder ainsi mon cul. Enzo baisse à son tour le bas de sa combinaison, enfile une capote, se saisit fermement du haut de mes cuissardes pour m’écarter les jambes… Il m’enduit le cul de gel. Je sens sa queue énorme commencer à pénétrer en moi, s’enfoncer doucement, s’enfoncer… Ecrasé sur le caoutchouc de la bache, sous cette masse caoutchoutée, je gémis de plaisir et de douleur à la fois, je sens le foutre gicler sous le latex ultra fin de sa capote… Cinq, six, sept giclées, puissantes, épaisses, qui gonflent le réservoir comme une baudruche sur le point de crever… Et j’éjacule au même instant. Je suis au bord de l’évanouissement. Au-delà de la jouissance.
Chapitre 5
Il était trois heures de l’après-midi. Nous nous sommes quittés à six heures : je repartais le soir même pour Paris, hélas ! Nous avons joui ensemble cinq fois, six fois, je ne me soubiens plus… Dans toutes les positions, avec toutes sortes de combinaisons, de bottes, d’accessoires… Tous ses équipement de Lagunaro y sont passés. Et nous nous sommes quittés avec cette tristesse vague des amants sexuellement comblés… Mais quoi ? Nous nous reverrons. Je sais que, désormais, en toutes saisons, aqua alta ou pas, chaque fois que je trouverai l’occasion de retourner à Venise, j’y retournerai : Enzo m’attend. Je pense à lui en écrivant ces lignes… En les écrivant revêtu de la muta di gomma de Lagunaro qu’il m’a offerte. Intégralement caoutchouté.. Oui.
Guido